bluebird« Quand tu joues le blues, Minnie, c’est comme si tu riais et pleurais en même temps. Le blues, c’est comme un tout petit nuage dans un beau ciel d’après-midi. Un petit nuage, tout fin, tout blanc, mais qui te serre le ventre, sans que tu saches trop pourquoi. Tu comprends ? Mais le blues, c’est aussi comme une éclaircie qui traverse un orage ou comme une cerise juteuse sur un gâteau trop sec. Ca... Ça peut te fait rire aux éclats quand tu devrais tomber, les genoux dans la boue. Tu vois ? »

Nous sommes en 1940 dans le sud des Etats-Unis ; la ségrégation fonctionne à plein régime, et si l’esclavage est banni depuis près de 80 ans, les conditions de vie des noirs sur les plantations n’ont malheureusement pas beaucoup évolué. Depuis la mort de sa mère, Minnie sillonne les routes avec son père qui est songster : il joue du blues à qui veut l’écouter en échange du gîte et du couvert à défaut d’argent, sa fille l’accompagne à l’harmonica. C’est ainsi qu’ils arrivent sur la plantation de Charley Silas, un tyran qui hait les noirs et est secondé par deux Cerbère, un indien surnommé Gros Poings et un Irlandais, Manus Dalley : le trio fait régner la terreur et alimente un flot de légendes. Mais voilà que quelque chose naît entre Minnie et Elwin, le fils de Dalley, une histoire sans parole qui aurait pu tourner à l’amour si un drame ne les avait pas séparés. En effet, alors que Minnie et son père s’arrêtent dans une église avant de reprendre la route, les membres du Klux Klux Klan font irruption, mettent le feu et Minnie croit son père mort, tué par Gros Poings et Dalley qu’elle a reconnus sous leurs capuches. Effondrée aussi bien qu’effrayée, elle prend le premier train de marchandise et monte à Chicago où l’attendent moult aventures. Changement de narrateur au deuxième chapitre, Gros Poings, qui s’appelle en fait Nashoba revient sur sa propre histoire : le rôle qu’il a joué avec les Dalley sur la plantation n’était qu’un masque, en réalité, ce sont des justiciers, ils ont sauvé le père de Minnie de la mort, puis après avoir tué Silas, les contremaîtres montent une mascarade et reprennent les reines de l’exploitation, redistribuant les terres, mutualisant le travail entre tous etc : la plantation devient une sorte de société idéale où les choix se font collectivement (une sorte de kolkhoze heureux !)

Ce roman est une grande fresque, bâtie autour d’un quiproquo, les péripéties et rebondissements s’enchaînent, sont parfois totalement invraisemblables mais c’est sans importance : un beau souffle romanesque agite le récit et fait entrer le lecteur de plein pied dans la tourmente. Les personnages sont hauts en couleur même les personnages secondaires, ceux qu’on ne croise que le temps de quelques pages : ils sont construits avec beaucoup de soins et acquièrent tous une forte personnalité. L’alternance des points de vue (Minnie, Nashoba ou Elwin), des lieux (tantôt le sud, tantôt Chicago) relancent le récit et le rendent très vif, sans compter qu’il y a quelques scènes assez drôles : on ne s'ennuie pas une minute ! Donc un grand roman d’aventures ancré dans le contexte des années 40, la vie des noirs dans le sud mais aussi à Chicago, est au coeur du récit, la musique est aussi un des thèmes essentiels, et pour prolonger le plaisir, une playlist est proposée aux lecteurs. Donc, c’est aussi un roman historique ou du moins sociétal !

 (Fabienne)

 

Auteur ·trice Koëgel, Tristan (1980-...) (Auteur)
Titre(s) Bluebird / Tristan Koëgel.
Edition Paris : Didier Jeunesse, 2015.
Genre(s) et thème(s) Adolescent,Racisme,Musique,Exclusion,Justice / Injustice,Amérique du Nord,