91uaielcccl"De l'histoire de sa mère, elle avait tiré la conviction que les malheurs surviennent aux femmes qui se laissent emprisonner par un homme. Aussi veillait-elle à en avoir plusieurs"

1925, ‘Haret el Yahoud, (la ruelle aux juifs), quartier pauvre du Caire. Esther a 14 ans, elle a échappé à la mort après une chute, on la dit folle ou du moins possédée, en proie aux crises d’hystérie. Elle épouse Motty, un aveugle que son père désespère de marier et ensemble, ils forment un couple uni, amoureux. Seule ombre au tableau, ils n’ont pas d’enfant. Esther, qui est un peu sorcière, prédit l’avenir, guérit et intercède auprès des esprits devra elle-même avoir recours à la sorcellerie pour enfin pouvoir donner naissance à un fils, Zohar. L’année 1942 occupe la majeure partie du récit, il se recentre sur Zohar, devenu jeune homme : ses affaires florissantes, ses amours passionnelles mais "haram" (interdites) avec sa sœur de lait musulmane, la belle Masreya, et les liens qu’il tisse avec Farouk, un roi égocentrique et capricieux, un roi de mascarade puisque c’est l’occupant anglais qui détient le pouvoir. Les Egyptiens souffrent, tout vient à manquer, les prix s’enflamment ; ils espèrent que Rommel les libèrera de la domination britannique mais la défaite allemande à El Alamein ruine leurs espoirs. De plus, à la fin de la guerre, le plan de partage de la Palestine par l’ONU attise le nationalisme et fait naître un sentiment de rejet puis de haine des juifs, les Frères musulmans s’implantent de plus en plus. Ainsi la guerre marque un tournant, le récit s’achève en 1952, l’Egypte a changé, Farouk est contraint d’abdiquer et les émeutes secouent le Caire, les juifs fuient ou se font massacrer…

Ce pays qui te ressemble est une superbe fresque, dont le résumé ci-dessus traduit mal l’esprit. En effet si la dernière partie est tragique, l’atmosphère des ¾ du roman est toute autre. Le récit est plein de digressions, d’arabesques pourrait-on dire et le lecteur est promené dans l’ambiance orientale, la vie de quartier, (chaque chapitre porte un nom de lieu), la vie dans les rues avec des scènes savoureuses. Croyances populaires, coutumes et mots arabes parsèment un texte par ailleurs plein d’humour et de malice, le lecteur se régale de cette écriture volubile et ronde, jusqu’à la rupture, dans la dernière partie. Dans l’Egypte d’avant-guerre, juifs et musulmans se côtoient, croient en Dieu mais portent des amulettes et se protègent du mauvais œil. Pour Zohar, « Musulmans, coptes, orthodoxes, karaïtes ou juifs, nous sommes tous égyptiens » mais ce sentiment n’est plus partagé à la fin de la guerre, Farouk l’avertira : « Tôt ou tard, l’Egypte appartiendra aux seuls Egyptiens. Et la nature des Egyptiens, c’est d’être musulmans » (p. 489). Parallèlement au destin de Zohar, c’est celui de l’Egypte que retrace Tobie Nathan sans démonstration mais avec beaucoup de talent ; il dresse le portrait d’une Egypte sensuelle, envoûtante et fière. Un grand roman !

(Fabienne)

 

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